Mélanie R. écume les rues de France et du monde entier et change notre regard au travers de deux comptes instagram. Avec @lestrottoirs, elle nous démontre que regarder ses pieds peut avoir du bon. Avec @onedayoneportrait_, elle habille les murs de ses portraits colorés.

Pourquoi avoir lancé le compte @lestrottoirs ?
Le premier trottoir que j’ai photographié, c’était à Beyrouth en mars 2016. J’étais partie vivre quelques mois au Liban dans le cadre de mon travail (je suis journaliste) et je passais beaucoup de temps à me promener dans la ville. La transformation de Beyrouth m’a toujours fascinée et au-delà des murs et des façades qui racontent tant de choses sur l’histoire mouvementée de ce pays (tous ces immeubles défigurés par la guerre côtoyant des résidences flambant neuves), j’ai commencé à regarder les sols qui eux aussi témoignent de la modernisation ultra rapide de la ville. A Beyrouth, peu de gens se promènent à pied, et les trottoirs sont souvent très abîmés et encombrés (trous, déchets, voitures garées), il est donc indispensable de regarder vraiment où l’on marche pour ne pas tomber.
Un jour, alors que je me promenais dans le quartier escarpé d’Achrafieh, j’ai été interpellée par un joli trottoir en carrelage jaune et rouge tout craquelé qui avait été consolidé avec du béton. C’est ma première photo. Les semaines suivantes, j’ai continué à chercher des trottoirs symboliques ou simplement graphiques et j’ai commencé à accumuler les photos dans mon téléphone.
Dans le courant de l’été 2016, je suis partie une semaine à New York et à ma plus grande surprise, j’ai remarqué là aussi beaucoup de choses sur le sol. Et d’ailleurs surtout du street art. Lorsque je suis rentrée définitivement en France en septembre, je me suis dit que j’allais regarder ce que je pouvais trouver sur les trottoirs de Paris. Je n’y avais jamais prêté attention et il ne m’a suffit que de quelques promenades pour trouver mon bonheur. Alors l’idée d’un compte Instagram dédié m’est venue et voilà comment tout a commencé, avec toujours la même mise en scène pour créer une sorte de série qui soit la plus graphique possible.

Depuis deux ans, la recherche de trottoirs est devenue une vraie activité, je me promène beaucoup, parfois juste pour trouver des sols intéressants (souvent du street art mais pas que). Cela me permet de découvrir de nouveaux quartiers, des endroits de Paris où je n’avais jamais mis les pieds. Outre la publicité qui se développe beaucoup sur les trottoirs et qui prend de plus en plus de place, de nombreux artistes se sont mis à s’exprimer sur le sol. Leur objectif est souvent de faire sourire ou d’interpeller les passants pressés et cela me plaît beaucoup.
Où que j’aille désormais, je regarde beaucoup par terre, en Inde où je vais presque chaque année, mais aussi à Lyon, en Iran, à Dubai, à Londres…
Je suis chaque jour très surprise et touchée des messages enthousiastes que je reçois sur Instagram. Beaucoup d’internautes m’envoient des photos de leurs pieds, me donnent des idées, m’encouragent.
Alors je continue, et mes recherches semblent infinies !
Voit-on finalement bien le monde en ne levant pas les yeux au ciel ?
Disons qu’on voit le monde différemment même si bien évidemment je regarde aussi en l’air ! Le trottoir est souvent associé à un lieu sale auquel personne ne prête attention. Aujourd’hui, dans les grandes villes, nous marchons vite, le pas pressé, les yeux rivés sur notre téléphone sans remarquer que sous nos pieds se cachent des merveilles. L’idée de mon compte est aussi d’inciter les gens à ralentir, à regarder autour d’eux car bien souvent la beauté se trouve aussi dans les endroits les plus improbables. Je reçois d’ailleurs très souvent des messages de personnes qui en découvrant mes photos me disent qu’ils vont désormais faire plus attention à là où ils posent leurs pieds. Mission réussie !
Et puis, aussi surprenant que cela puisse paraître, le trottoir raconte aussi l’histoire d’un pays et d’une ville. Les carreaux et les symboles qui ont été utilisés mais aussi parfois des plaques commémoratives, des indications historiques…

Quelle est ta photo préférée et pourquoi ?
Celle qui a le plus de valeur à mes yeux est la première que j’ai prise à Beyrouth. Car elle symbolise le commencement de cette belle aventure. Pas une seconde en prenant cette photo, je n’ai imaginé que cela pourrait devenir un projet, encore moins un projet qui s’étalerait sur plusieurs années. Et puis, elle représente une tranche de ma vie au cours de laquelle j’ai beaucoup appris sur moi, où j’ai beaucoup pris sur moi pour avancer.
Tu as également un compte street-art #OneDayOnePortrait, peux-tu nous parler de cette démarche ?
Je pratique la photographie depuis une quinzaine d’années et me suis spécialisée en portrait. Lors de mes voyages (le plus fréquemment possible !), je passe mon temps à immortaliser le visage des personnes que je croise dans la rue. Pendant des années, j’ai stocké ces images sur mon ordinateur, sans les montrer à personne à part à mon entourage proche qui m’a toujours encouragée à « en faire quelque chose ». Une exposition, un livre… Mais je n’ai jamais osé les montrer.
Agacé par ce manque de confiance en moi, mon ami, qui colle des affiches dans la rue depuis très longtemps, m’a suggéré de coller mes portraits sur les murs dans la rue. Pour les offrir au regard des passants, pour me libérer des barrières que je m’impose. J’ai fini par l’écouter et en novembre 2017, avec l’aide de Fé ta vie, une street-artiste parisienne, j’ai collé ma première photo dans le XXe arrondissement de Paris. Ca a été une révélation, j’ai adoré, et je n’ai jamais arrêté, même si je reconnais être moins productive en hiver 😉 Coller dans la rue, c’est libérateur, on se sent capable de tout, on partage qui on est avec le monde extérieur, on s’expose, on prend des risques. Je me sens vivante comme jamais quand je le fais et cela me fait un bien fou.
Et puis, je trouve que mes portraits mettent un peu de couleur et de diversité dans les rues parfois monotones de Paris. Le regard perçant des personnes que je photographie interpelle, incite là encore à ralentir, à ressentir, à réfléchir.
Quels sont tes prochains projets et les trottoirs que tu souhaites parcourir dans les prochaines semaines?
J’ai été très occupée ces derniers mois et je n’ai pas eu beaucoup de temps pour me promener dans Paris donc il va falloir que je m’organise quelques balades dans le XXe, dans le XIIIe et dans le XVIIIe, des quartiers où je trouve souvent des trésors. Sinon, j’aimerais beaucoup retourner à New York cet été et là-bas, je suis sûre de trouver mon bonheur. De toute façon, peu importe la ville et le pays dans lequel je suis, c’est désormais naturel pour moi de regarder les trottoirs et je trouve toujours quelque chose d’intéressant.